L’histoire de l’anime et du manga en France

Les mangas sont installés dans le paysage culturel français depuis le début des années 80. Le genre fait partie intégrante de la bande dessinée française, si bien que l’Hexagone est le deuxième plus grand consommateur de mangas après le Japon. Cette consécration est l’aboutissement d’une histoire et d’un parcours tumultueux. Les premiers mangas furent boudés avant que le marché n’explose. Puis vint la polémique autour de la violence et de l’ambiguïté autour de ce contenu. Aujourd’hui, toute une industrie existe autour du phénomène manga : les ventes papiers, les animés, les jeux-vidéos ou encore le cosplay. Malgré cela, les acteurs du secteur restent la proie de certains stéréotypes. Ils souffrent également de la dématérialisation gratuite de leurs œuvres (fansub, scantrad, sites de streaming gratuit, etc.).

histoire manga et anime

Ce dossier met en perspective les événements et les acteurs qui ont fait émerger les mangas et les animés en France, tout en abordant les problématiques qui façonnent le secteur.

Les mangas et les animés japonais arrivent en France

Les prémices d’une ère, et l’échec du monde de l’édition

Tout commence au début des années 80 et plus particulièrement en 1978. À cette époque, la bande dessinée japonaise est très peu présente dans le paysage francophone. La première incursion du style s’effectue en 1969, lorsque le fanzine dédié au judo, Budo Magazine Europe, publie la bande dessinée Bushidou Muzanden d’Hiroshi Hirata. Plus tard, en 1978, Atoss Takemoto, un jeune Japonais installé en Suisse, lance sa revue Le Cri qui tue. Le magazine publie des oeuvres considérées aujourd’hui comme des classiques. On peut citer Golgo 13, Le Système des Super-Oiseaux de Osamu Tezuka ou encore Goodbye de Yoshihiro Tatsumi. Malheureusement, la revue s’arrête en 1981 après six numéros, n’ayant pu trouver son public.

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Couverture Le Cri qui tue – Volume 3

En 1983, la maison d’édition Les Humanoïdes Associés publient le premier volume de Gen d’Hiroshima de Keiji Nakazawa dans leur collection Autodafé, mais sans succès. Découragés par ces échecs dans un contexte de crise économique, les éditeurs ne publieront presque plus de mangas avant 1990. Hormis quelques exceptions bien sûr, dont le premier tome des Secrets de l’économie japonaise paru chez Albin Michel en 1989. Du côté des magazines, il n’y a pas plus de succès, et ce malgré la traduction des premiers mangas pornographiques. Entre janvier 85 et 86, la maison d’édition Ideogram publie dans la revue Mutants les 11 tomes de la série Androïde de Seisaku Kano et Kazuo Koike. Par ailleurs, le magazine Rebels publie, dans ses numéros de juin 1985 à juin 1986, Scorpia de M. Yuu et K. Kazyua.

Il faut attendre le lancement de Recré A2, la diffusion de UFO Robot Grendizer et le succès des programmes jeunesse des années 80, pour que les mangas s’installent définitivement dans le paysage culturel français.

Goldorak, Récré A2 et les programmes jeunesses

C’est la série UFO Robo Grendizer (Goldorak) qui lance le succès de la japanimation en France. La série est programmée dès le lancement de l’émission jeunesse Récré A2, présentée par l’iconique Dorothée et ses copains. Actarus et Minos déchaîneront les passions, à tel point que Goldorak aura sa propre couverture de Paris Match. Pourtant, la même série venait d’être déprogrammée au Japon, et cela après 74 épisodes et une diffusion d’un peu plus de deux ans. Au Japon, cet animé ne sera jamais considéré comme un classique, à l’inverse de son prédécesseur Mazinger Z, du même auteur Gō Nagai.

Les éditeurs italiens jouent un rôle considérable dans l’installation des animés et de leurs produits dérivés en Europe. En 1978, il existe plus de 400 petites chaînes locales et privées qui diffusent des programmes étrangers. La 5 appartient au groupe Mediaset au sein duquel Silvio Berlusconi a une importante participation financière.

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Paris Match, 19 janvier 1979

Goldorak n’est pas le premier animé diffusé en France. En 1972, Le Roi Léo (Jungle Tatei), puis Princesse Saphir (Ribon no Kishi) de Osamu Tezuka en 1974, sont déjà passés à la télévision. Bien avant cela, le 30 mai 1962, le court-métrage de Taiji Yabushita, Le Serpent Blanc sortit en salle avec le titre « La légende de madame Pei Nang ». 

Forte du succès de Goldorak, Récréa 2 diffuse d’autres animes. On peut citer Uchū Kaizoku Kyaputen Hārokku : Albator, le corsaire de l’espace et Candy Candy. Les dessins animés japonais sont validés par ces succès et de nouvelles émissions jeunesse sont créées. Le 8 janvier 1975, Christophe Izard lance Les Visiteurs du mercredi. Le 4 novembre 1984, Canal+ lance Cabou Cadin. L’émission fait découvrir aux jeunes générations des animés tels que Crocus, Bioman, Cobra, Edgar, le détective cambrioleur et Sherlock Holmes. FR3 a également lancé de multiples programmes dont Amuse 3 le 21 septembre 1986. L’émission diffusa entre autres Signé Cat’s Eyes.

Les animes à la rescousse de la guerre de l’audience

La privatisation du marché hertzien et câblé permet l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché télévisuel. Une partie de l’équipe de Récré A2 rejoint TF1 et lance le cultisme Club Dorothée le 2 septembre 1987. De nouvelles chaînes apparaissent : Canal+, M6 ou encore La 5. Ce nouveau climat concurrentiel oblige les chaînes à diffuser 18 heures de programmes par jour. Celles-ci redoublent d’efforts pour attirer l’audience propice aux annonceurs. Les animés, séduisants par leurs coûts attractifs et leur succès, jouent un rôle majeur de captation des jeunes audiences.

La société IDDH de Huber Chonzu, fondée en 1979, devient l’un des principaux fournisseurs et producteurs d’animes. La société produira des dessins animés tels que Clémentine, Moi Renart et Molierissimo.

Seulement, au début des années 90, c’est le déclin d’IDDH. Jean-Luc Azoulay et Claude Berda fondent AB Productions. Ils mettent en place un modèle économique qui permettra au Club Dorothée de régner en maître pendant plus d’une décennie. AB achète les séries japonaises de façon groupée puis les distribuent en France. Afin que les jeunes téléspectateurs puissent s’identifier aux programmes, les traducteurs localisent les intrigues ainsi que les noms des personnages. Pendant ce temps, IDDH peine à suivre et continue d’alimenter son catalogue usé auprès de M6 et FR3.

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L’équipe du Club Dorothée

Le seul rival du Club Dorothée c’est la 5 et son émission Youpi ! L’école est finie. L’émission se positionne sur les animés aux valeurs fortes, sportives ou familiales. On y découvre Princesse Sarah, Vanessa ou la magie des rêves (Mahou no Yousei Pelsia), Olive et Tom (Captain Tsubasa) ou encore Jeanne et Serge. Le système cartonne et garantit le succès de l’émission. Pour contrer cela, AB Productions part au Japon et revient avec toutes les séries qui marchent. Bien sûr, ça sera payant et amorcera une longue polémique qui aboutira à la fin du Club Dorothée.

Naissance de la polémique et propagation de la vague anti-manga

Au début des années 90, le Club Dorothée diffuse de nouveaux animés et séries japonaises. On retrouve des Sentais tels que Liveman ou des Seinens comme Juliette je t’aime. On y voit aussi de nombreux Shōnen : Dragon Ball Z, Les Chevaliers du Zodiaque ou encore Ken le Survivant (Hokuto No Ken). Ces derniers ont beaucoup de succès, en particulier Dragon Ball Z, pour lequel il y a un véritable engouement des téléspectateurs. Les critiques, quant à eux, sont plus acerbes et commencent à pointer du doigt la violence ou l’ambiguïté de certaines séries. Malgré ces premières réserves sur le contenu et le public visé par certains mangas, leur succès ne se dément pas. Il permet même aux éditeurs de séduire les premiers lecteurs de manga. Mais j’y reviendrai…

La vague-anti manga se cristallise sur une jeune députée socialiste des Deux-Sèvres : Ségolène Royale. Elle qualifie alors les animés de « nuls », « médiocres » et « laids ». Pour appuyer son analyse, elle écrit un livre intitulé Le-ras-le-bol des bébés zappeurs, publié aux éditions Robert Laffont en 1989. Dans sa lutte contre les animes, elle a plusieurs soutiens dont le média Télérama, des associations, et même le président du CSA de l’époque. Ce dernier a d’ailleurs qualifié les animés de « japonaiseries ».

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Les bébés Zappeurs Robert Laffont 26 Octobre 1989

Sous la pression, AB Productions recrute une équipe de psychologues pour adapter les séries aux plus jeunes. Conséquence : les séries jugées les plus violentes ou ayant des dialogues inadaptés sont modifiées ou coupées. C’est avec cette initiative que naît le restaurant végétarien de Nicky Larson ainsi que les dialogues mythiques de Ken le Survivant. Seulement, en avril 1993, le Club Do commet une erreur et diffuse Très cher frère… de Riyoko Ikeda (Lady Oscar).

Très cher frère… est un anime assez sombre, diffusé en crypté au Japon. On décèle chez les personnages de la violence psychologique, de l’ambiguïté sexuelle et des tendances suicidaires. La diffusion sera stoppée après 7 épisodes. Pour éviter tout amalgame avec son émission, Dorothée vient s’excuser au 20h de Patrick Poivre d’Arvor.

Années 90 : restructuration et ventes de mangas papier

Le 29 août 1997, c’est l’arrêt du Club Dorothée. Ce n’est pas une surprise, plusieurs signes le laissaient présager, comme la vague anti-manga, des réductions d’antenne et de nombreux désaccords avec AB Productions. TF! Jeunesse fait alors son apparition. On observera plus tard que le Club Do et ses émules ont amorcé des changements qui transformeront définitivement la télévision jeunesse française. Pendant que la télévision se restructure, le monde de l’édition s’est transformé. Revenons légèrement en arrière… Le 8 Mai 1991, Akira de Katsuhiro Ōtomo sort en salle. C’est un vrai choc.

L’animé, inspiré du manga cyberpunk éponyme, renouvelle les codes du genre. Surtout, il est encensé par la critique. En 1990, Glénat, qui avait édité Akira d’après la version colorisée américaine, avait visé juste. À partir de 1993, l’éditeur profite de l’image favorable de Dragon Ball pour le publier. Il fera de même avec Ranma 1/2. Ces premiers succès, renforcés par les audiences du Club Do, poussent l’éditeur à continuer. Glénat publie Appleseed et Orion de Masamune Shirow en 1994. En 1995, viendront Dr Slump de Toriyama, Gunnm de Yukito Kishiro, ou encore Sailor Moon de Naoko Takeuchi. Les résultats de Glénat vont encourager d’autres éditeurs comme Casterman à lancer leur collection manga. Par la suite, naîtront des éditions et des colletions plus spécialisées tels que Dark Horse.

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Akira, le film de Katsuhiro Ōtomo

Du côté de la télévision, on assiste à une renaissance du genre. Les programmes jeunesse proposent des contenus adaptés aux spectateurs. Ils diffusent des séries tels que Pokemon, Yu-Gi-Oh! ou encore Cardcaptor Sakura. De nouvelles chaînes naissent, telles que Mangas ou Game One. Elles proposent des séries adaptées aux heures de diffusion (Trigun). Akira ouvre le chemin à d’autres productions cinématographiques de qualité, notamment celles du Studio Ghibli : Princesse Mononoké, Le voyage de Chihiro ou encore Ghost In The Shell.

Les tendances actuelles de la vente de mangas et d’animes

Aujourd’hui, les animes font aussi partie intégrante de notre culture pop. De la couverture « Goldorak » de Paris Match, au succès de Dragon Ball à l’écran comme à l’écrit, sans oublier la reconnaissance du genre au cinéma avec Akira, ils sont partout ! Et bien sûr, c’est sans mentionner la consécration lors de l’inauguration de la Japan Expo en 1999.

Petite parenthèse sur les ventes d’animés

Concernant l’animation, les dernières données les plus fiables remontent à l’année 2015, et nous les avons empruntées au Japon. Cette année-là, le marché nippon rapporte 16 milliards d’euros. Cela représente une augmentation de 12% en comparaison à l’année précédente. Nous supposons que les résultats français, calqués sur ce modèle, sont similaires.

Les résultats et chiffres des mangas

Alors que le secteur de l’édition française est en crise, la CCFI annonce en avril 2018 que le marché du manga français se porte bien. Il représente alors 15 millions de ventes et rapporte 115 millions d’euros de chiffre d’affaires. Gilles Mure-Ravaud, directeur adjoint de CPI France, confirmera cette croissance du marché en valeur et en volume (cf. graphique plus bas). C’est une belle amélioration qui vient supplanter la période 2011-2014.

À l’époque, le secteur enregistrait une grosse récession due à la fin de certains mangas qui entretenaient le marché, tel que Naruto. Ce recul, on le devait aussi à la naissance et à la propagation du fansub et du scantrad, sur lesquels je reviendrai plus tard.

Le secteur se divise en 5 segments (j’en ai déjà évoqué plusieurs précédemment). Premièrement, les Seinen (mangas pour adultes) qui dominent le marché et progressent de 14%. Deuxièmement, les Shōnen (mangas pour les garçons) : + 11%. La hausse est plus modérée pour les Komodo (mangas pour les enfants) : + 0.6 %. Concernant les Shojo (Mangas pour les filles) et les mangas érotiques, ils reculent respectivement de 3 et 1%. À savoir : ces 5 dernières années, le prix moyen d’un manga tous segments confondus se situe autour de 7,5 euros.

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Source : Journal du Japon

Des séries qui trouvent leur public rapidement

Depuis le décollage des ventes de mangas en 1993, des indétrônables tels que Dragon Ball et sa suite Dragon Ball Super sont en tête des ventes. D’autres œuvres ne sont pas en reste : c’est le cas de One Piece ou Berserk.

Cependant, l’arrêt de séries très populaires telles que Naruto ou Fairy Tail ont entraîné une baisse notable des ventes. Même si, concernant Naruto, Ukyō Kodachi compte bien entamer un nouveau cycle avec Boruto. On remarque aussi le succès de nouvelles séries qui, bien que récentes, arrivent à se hisser au sein du Top 10. Je pense à des titres tels que My Hero Academia ou encore One Punch Man. La série de l’auteur ONE réalise le meilleur lancement d’un manga en 2016. On constate qu’elle arrive à la 4ème place des ventes. Elle maintient son positionnement dans le Top 10 l’année suivante en arrivant 7ème. Certes, les poids lourds sont toujours en tête, mais là encore, de petits nouveaux tels que The Promised Neverland ou Tokyo Ghoul ce sont immiscés dans le classement.

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source : journal du japon

Les droits d’auteurs face au fansub,et scantrad

Les mangas et la Japan Expo ont bien installé la culture nippone en Occident. Aujourd’hui, les fans ne se contentent plus de suivre les séries diffusées ou proposées par nos éditeurs. Nombreux sont ceux ou celles qui suivent des œuvres qui ne sont pas encore disponibles ou pas encore traduites en français. Pour répondre à leurs besoins, certains vont créer des équipes de fansub. Celles-ci ont pour but de sous-titrer les animés qui ne sont pas traduits en français ou qu’ils préfèrent suivre en japonais sous-titré par souci d’originalité. Les scantrad vont consister à scanner les mangas afin d’en faire profiter le plus grand nombre. Même si cette pratique est largement tolérée par les éditeurs, elle se fait au détriment des auteurs. En effet, ces derniers ne perçoivent aucun droit. Rappelons que leurs oeuvres étant protégées par le copyright, ces pratiques restent illégales.

Dans le but de faire face à ce phénomène, de nombreuses plateformes officielles voient le jour. On peut citer Crunchyroll, fondée en 2006 aux Etats-Unis (assez connue en France). Il y a aussi la plateforme Anime Digital Network (ADN) ou Wakanim. Ce sont trois plateformes qui possèdent des catalogues assez fournis, et qui ravissent les fans de mangas, tout en permettant la rémunération des auteurs.

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