Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit
Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit est précurseur d’un tournant technologique, à l’image de quelques autres films bien avant lui. Les générations précédentes l’ont vécu lorsque Georges Méliès s’éloignait des films documentaires caractéristiques des frères Lumière et sortait Le Voyage dans la Lune. Ce petit film de science-fiction participe à l’émergence du septième art. Plus tard, dans les années 20, l’arrivée de la parole bouscule à nouveau le monde du cinéma. Des changements beaucoup plus contemporains sont aussi frappants, notamment le développement des effets spéciaux et l’apparition de l’animation 2D ou 3D.
Le premier film avec des personnages photoréalistes
Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit (Hironobu Sakaguchi, 2001) se différencie des films à l’apparence cartoonesque du début des années 2000. C’est donc le premier long métrage d’animation à mettre en scène des personnages humains photoréalistes. À l’époque, c’est une véritable prouesse graphique et technique, très loin de Chicken Run et Shrek, sortis la même année. Le film aborde la thématique du premier contact avec une forme de vie ou une intelligence extraterrestre, tout comme les films Rencontres du troisième type ou Premier contact.
Pourtant, cette oeuvre présentée comme avant-gardiste est un véritable échec commercial. Square enregistre une perte colossale de 136 millions de dollars. Plus tard – très exactement le 1er avril 2003 – le studio fusionne avec son principal concurrent et devient Square-Enix. Depuis, certains gamers déplorent la qualité des jeux lancés par le nouvel éditeur. Selon eux, ils étaient de meilleure qualité et mieux développés lorsque les deux entités étaient séparées et concurrentes. Pour d’autres, les différents jeux s’en trouvent au contraire bonifiés. Nous aimerions revenir sur les raisons de l’échec de ce cadeau doux-amer destiné aux amateurs de cinéma d’animation.
Final Fantasy, d’abord une saga de jeux prolifiques
Bien avant ce film, Final Fantasy, c’est une saga de jeux développés par Hironobu Sakaguchi de Squaresoft. Le premier jeu sort sur Nintendo en 1987. Depuis, plus de 172 millions d’exemplaires d’opus issus de la franchise ont été vendus. Ce business permet l’émergence d’un véritable univers autour des jeux : produits dérivés (artbooks, figurines, ost, cosplay) et films animés se multiplient, pour le plus grand plaisir des fans.
Durant l’année 1994, le studio Madhouse (Vampire Hunter D: Bloodlust, Trigun, etc.) produit une série d’OAV suite au succès du jeu Final Fantasy V (Super Nintendo, 1992), qui s’intitule Legend of the Crystals. Le 28 mai 1993, Super Mario Bros. devient le première adaptation cinématographique d’un jeu vidéo. Bien que ce soit un échec aussi bien critique que commercial, d’autres films inspirés de jeu suivront. Ils ont pour but de répondre aux attentes des fans sans que le contenu soit toujours qualitatif (Double Dragon, Mortal Kombat, etc.).
Une réalisation à mi-chemin entre le Japon et les Etats-Unis
Pour mener à bien ce projet, Square lance une division dédiée uniquement au cinéma : Square Pictures. Le studio se situe à Honolulu, entre les Etats-Unis et le Japon, à l’image du staff du film. Ce sont pas moins de 220 collaborateurs qui travaillent sur ce projet durant 4 ans. Ils exploitent des données d’un volume de 15 téraoctets. L’équipe boucle le film en dépassant le budget initial de 65 millions de dollars, pour atteindre les 137 millions.
Les Créatures de l’esprit est le sixième film à avoir engendré les plus grosses pertes de l’histoire du cinéma. Pourtant, nous pensons que c’est une erreur de l’intégrer au classement des nanars cités précédemment. Ceux- ci se voient attribuer de faibles budgets, un scénario presque inexistant et se retrouvent étiquetés « série B ». Cela attise la colère des fans, hormis certains moins exigeants, satisfaits de voir de véritables acteurs incarner leurs héros. Le film est co-réalisé par Hironobu Sakaguchi et Monotori Sakakibara (Pokémon : Mewtwo contre-attaque – Evolution). Akio Saka, qui vient du monde de la japanimation (Le tombeau des lucioles (1988), Les Chroniques de la guerre de Lodoss (1990), Street Fighter II le film, 1994) a coproduit Les Créatures de l’esprit.
Des difficultés de réalisation liées à la rencontre de deux univers
Le scénario se construit autour de la thématique de la vie après la mort et du devenir de l’âme. Ce sujet trouble particulièrement Sakaguchi qui repense au décès de sa mère survenu plusieurs années auparavant. Après l’ébauche d’un premier script, les deux co-réalisateurs et producteurs s’appuient sur une équipe de collaborateurs américains. Et pas n’importe lesquels ! On compte notamment Chris Lee (à la tête de Columbia/ Tristar Pictures) et Jun Aida (président de Square USA et Square Pictures) qui a travaillé sur des projets tels que Parasite Eve 1 et 2. Les nippons ont également collaboré avec Jeff Vintar (I, Robot), Al Reinert (Apollo 13) ainsi que Bruce B.L. Jurgens (responsable des effets visuels de Planète rouge) et Jack Fletcher (directeur de casting sur Vampire Hunter D: Bloodlust).
Rôle | Doubleur anglais | Doubleur français |
Aki Ross | Ming-Na Wen | Yumi Fujimori |
Gray Edwards | Alec Baldwin | Bernard Lanneau |
Docteur Sid | Donald Sutherland | Jean-Pierre Moulin |
Général Hein | James Wood | Guy Chapelier |
Des difficultés scénaristiques
Le film raconte l’histoire d’Aki Ross (prénom attribué en hommage à la mère de Sakaguchi). Cette scientifique recherche 8 esprits présents sur Terre. Ces esprits lui permettront de repousser une armée de fantômes issue d’une météorite venue s’écraser sur notre planète 34 ans plus tôt. Bien que l’équipe du film dispose d’un budget colossal, les différences de vision entre les Japonais et les Américains, entre le monde du cinéma et celui du jeu vidéo, affectent la réalisation. Square veut repousser les limites de cette expérience inédite mais se heurte à des restrictions techniques. Conséquence : le script sera remanié plus d’une cinquantaine de fois.
Square mise beaucoup (trop ?) sur les VFX
À la sortie du film – bien que les avis soient plus que partagés – tous s’accordent sur une chose : il est techniquement parfait. Aki Ross acquiert même le statut d’icône et apparaît en couverture du magazine Maxim. Elle figure parmi le classement des femmes les plus sexy au monde et se trouve à la 84e place.
Afin de renforcer le réalisme des scènes et des protagonistes, différents mouvements sont enregistrés par motion capture. Au total, ce ne sont pas moins de 1327 scènes qui sont tournées dans les studios de Square Pictures. Au total : 142 000 images de chacune 10 mégaoctets et 960 ordinateurs qui génèrent différents rendus. Une des prouesses citée de façon récurrente est l’animation des cheveux d’Aki. Elle en possède un total de 60 000 à gérer pour chacune des images ou elle apparaît.
Par ailleurs, certains plans ont été retouchés et améliorés en dernière minute pour incorporer encore plus de réalisme. Pourtant, lors du visionnage, on constate que la quasi totalité des personnages manquent d’émotion (à l’exception d’Aki, bien sûr). Le spectateur se trouve face à des personnages suffisamment photoréalistes pour être assimilés à des acteurs, mais pas assez pour que l’on puisse oublier qu’il s’agit de modèles 3D. Cette dichotomie peut déstabiliser et empêcher un totale immersion. D’ailleurs, ce constat se rapproche de la théorie du roboticien Masahiro Mori qui affirmait que plus un robot serait proche de l’homme, plus il apparaîtrait comme monstrueux et serait rejeté.
Un space opera à l’aspect révolutionnaire
Les fans ne se reconnaissent pas dans le film
Les fans des jeux Final Fantasy reprochent au film sa distance avec la saga et plus globalement avec le monde de l’heroic fantasy qui est pourtant sa marque de fabrique. Pour ceux qui s’attendaient à des clins d’œil, le film n’en fait presque aucun. Il y a bien le t-shirt qu’Aki porte avec un Chocobo, ou encore le nom du professeur Cid intimement lié à la saga, mais c’est tout. La plupart des jeux Final Fantasy se déroulent à une époque, dans des lieux et contextes relativement différents. Pourtant, leur intrigue est commune : toujours mystico-politique, les personnages y usent de magie et font appel à des chimères.
Des personnages beaucoup trop stéréotypés
Un des autres défauts majeurs du film reste l’écriture des personnage, même si Hironobu Sakaguchi nous invite à prendre de la hauteur dans cette fable philosophique. Loin de la vision d’ensemble, les personnages sont très stéréotypés. La protagoniste principale, Aki, souhaite sauver le monde. Grey Edwards – dont elle est enceinte – a encore des sentiments pour elle. Il la suit dans cette quête. Il est lui-même suivi par leur unité d’élite : Deep Eyes. Cette unité est composée de Ryan Whittaker (le Noir cool), de Jane Proudfoot (la seule femme de l’équipe, relativement impulsive, qui n’est pas sans rappeler le personnage de Vasquez dans Alien) et de Neil Fleming (le petit comique du groupe).
Sid, qu’Aki doit protéger, est l’incarnation ultime de la sagesse, appuyée par son statut de scientifique et son âge. Douglas Hein, quant à lui, a tout perdu à cause des fantômes et veut se venger.
Toutes ces caractéristique sont typiques d’une grosse production hollywoodienne lambda, sans prétention, même si le scénario se complexifie dans la dernière partie du film.
Une révolution et un échec
Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit est un véritable space opera. Mais à la différence de Firefly de Joss Whedon, il n’aura pas de seconde naissance. L’histoire, l’ambiance et le déroulement de l’action sont trop loin de l’attente des joueurs devenus spectateurs. Sûrement la conséquence de l’association difficile de deux visions culturelles et artistiques relativement différentes… Lors des sorties en salles, le film génère 85 millions de dollars suivis, puis environs 30 millions pour les ventes de DVD. On connaît la suite de l’histoire : le studio d’Honolulu sera fermé et la filiale s’occupera uniquement de la gestion des ventes de DVD.
Cette expérience a freiné les ambitions de cinéma de Square-Enix. Depuis, l’éditeur n’a sorti que des films en rapport avec des jeux spécifiques, notamment Final Fantasy VII: Advent Children, suite de FFVII ou encore Kingsglaive, préquel de FFXV. On n’oublie pas bien sûr l’animé Unlimited (2001, 2002) inspiré de la saga de jeux de Square-Enix du jeu éponyme sorti sur PS2. La série produite par le studio Gonzo (Hellsing, Origine), bien que se rapprochant davantage de la fantasy, n’a pas rencontré de succès.