Quelles sont les qualités d’un bon survival-horror ?
Depuis plusieurs années, les joueurs – et ce tous supports confondus – pestent contre la qualité des survival-horror qui leur sont proposés. Certaines sagas ont offert un bon premier opus et ont surpris les joueurs par la direction empruntée par leurs suites. Bien sûr, il y a toujours de très bons titres qui se démarquent de l’ensemble. La sortie de Resident Evil 3 Remake et The Last of Us Part II confirment l’hybridation du genre avec l’action.
Quels sont les causes de la régression du survival-horror ? Et surtout quels ingrédients essentiels manquants permettraient aux développeurs de satisfaire les fans de la première heure ?
Depuis le lancement des consoles nouvelle génération, certains jeux d’horreur se sont beaucoup éloignés de leur essence. Ce changement de direction n’impacte pas les ventes mais il a pour effet de détourner le genre de son public d’origine. Seulement, si des éditeurs tels que Capcom, Konami et beaucoup d’autres font le choix d’orienter leurs survival-horror vers l’action, ce n’est pas un hasard. Ils cherchent à concurrencer des mastodontes de l’industrie tels que Call of Duty et GTA en matière de ventes.
Qui sont les amateurs de jeux d’horreur ?
Ce sont des gamers qui aiment incarner un personnage inexpérimenté et habité par le doute. Leon Kennedy de Resident Evil 2 en est un bon exemple. Ils recherchent une expérience de jeu isolante ainsi que le sentiment d’impuissance qui fera émerger incertitude et peurs.
Nous allons faire la liste de 5 éléments essentiels qui permettent de réaliser un survival-horror de qualité.
1. Un bon survival-horror instaure un sentiment de perte de contrôle
Dans un jeu vidéo, toute progression s’effectue au fil des déplacements et des interactions. Dans un survival-horror, l’affrontement reste l’une des interactions principales. Nous n’oublions pas de mentionner les dialogues, mais ils sont censés être rares. Trop de dialogues auraient pour effet de limiter l’effet d’isolement et de solitude. Dans la plupart des cas, le joueur affronte une intelligence artificielle. Depuis peu, il affronte aussi ses pairs (mode résistance, coopération, etc). Vous avez dû le remarquer, dans ces situations, la plupart des jeux augmentant ou exagèrent nos capacités. Il suffit d’observer les possibilités d’actions d’un personnage de GTA ou les combos d’un personnage de Street Fighter. Les jeux d’horreur ne recherchent pas cet effet. Les développeurs réduisent le champ d’actions et de possibilités au strict nécessaire. Le but : maintenir le joueur en alerte et instaurer un sentiment de perte de contrôle.
Les développeurs utilisent deux techniques pour obtenir ce résultat
La première technique consiste à démunir le joueur de moyens de défense en cas d’affrontement. Dans ce cas de figure, tout affrontement serait fatal. Ainsi, toute rencontre avec un ennemi engendre du stress, d’autant que le seul recours reste la fuite. Le joueur se sent vulnérable et impuissant. Cela le ramène presque à des peurs infantiles, lorsqu’il croyait être à la merci de monstres sortis de son imagination ou de la télévision et se précipitait vers son lit ou la porte la plus proche. Des jeux tels que Amnesia, Slender ou la saga Outlast maîtrisent parfaitement ce concept.
ACHETER AMNESIA: THE DARK DESCENT
La seconde technique, déjà évoquée, consiste à ne mettre à disposition du joueur que le strict minimum pour assurer sa défense. Les sagas Resident Evil et Silent Hill sont des références qui exploitent ce système. On relève une dérive sur les derniers titres de Capcom, notamment Resident Evil 7, 2 et 3 Remake. Les protagonistes disposent d’un stock d’armes tel que les zombies s’enfuiraient s’ils le pouvaient. Sur ces opus, ce mix entre horreur et action fait perdre un peu de sa superbe à la saga.
2. Les jeux d’horreur ont besoin d’isolement
Bien souvent le protagoniste principal explore un lieu labyrinthique qui semble avoir été déserté. Une petite ville à l’apparence tranquille ou un hôpital psychiatrique comptent parmi les décors typiques de ces jeux. Dans sa quête de réponse, le joueur tente de restaurer son environnement, de remettre les choses à leur place. Seulement, tout a disparu, il ne reste que des bruissements angoissants. A l’horizon, une brume épaisse l’empêche de se projeter et laisse percevoir des ombres inquiétantes. En plus d’accentuer son sentiment d’isolement, cela laisse présager un danger proche. Pour renforcer cette impression, les développeurs amorcent de courtes interactions avec d’autres protagonistes qui tentent aussi de s’en sortir. Ada Wong de Resident Evil ou encore Ellie Langford de Dead Space en sont de bons exemples.
Des modes coopératifs funs mais un peu hors sujet
Les modes coopératifs prolongent la vie des jeux d’horreur et les adaptent à un plus large public. Ils sont beaucoup plus funs mais pas vraiment effrayants. Pire : ils font perdre leur essence même à ce type de jeu. On l’avait déjà constaté avec Resident Evil 5 ou Dead Space 3. Malheureusement, cette tendance se confirme avec des titres plus récents comme Resident Evil 2 (2019) et son mode Resistance.
De petites différences entre survival-horror et action
Dans un jeu d’action, vous incarnerez un protagoniste qui ponctuera sa quête de nombreuses interactions (dialogues, cinématiques, coopérations) pour faire avancer le fil conducteur de l’intrigue. En gros, vous n’êtes pas seul. Bien souvent, une seule arme généreusement ravitaillée suffira pour en découdre avec vos ennemis. Dans un bon survival-horror, vous n’avez pas ce fil d’Ariane. Vous rencontrerez peu de personnages. La plupart du temps, ils n’en sauront pas plus que vous et disparaîtront très vite, ce qui viendra amplifier votre sentiment de solitude. Bien entendu, vous aurez des armes. Cependant, il faudra gérer votre stock en fonction de vos impératifs et de votre progression. Impossible de tout emporter ! Les quelques balles à disposition servent à vous donner de l’espoir et à continuer d’avancer face aux hordes de zombies qui vont feront face.
Jill Valentine de RE3 Remake est le parfait exemple de la protagoniste surarmée. A son arrivée à Raccoon City, elle ne possède qu’une arme et très peu de balles, ce qui est excellent. Mais très vite, on lui alloue un véritable arsenal !
Le cas que je viens de décrire est le problème majeur du survival-horror actuel. Les développeurs ne veulent pas imposer de grandes difficultés aux joueurs de peur qu’ils laissent le jeu de côté, et ça se sent. C’est assez flagrant dans les derniers Resident Evil où l’on peut tuer des personnes qui ne sont pas des zombies. Vous le constaterez vous-même. Arpenter un manoir armé d’un shotgun, d’un lance-roquette et d’un florilège de munitions est loin d’être une expérience d’horreur.
3. Les jeux d’horreur ont besoin de tension
Un bon survival-horror s’agrémente d’une tension (très) chère à son public. Le gars qui joue avec le mental et la confiance d’un gamer Fortnite est dans un mauvais jeu d’horreur. Il faut instaurer et maintenir une tension pour tenir le joueur en respect ! Pour cela, les développeurs utilisent plusieurs petites astuces qui font mouche. On peut citer la gestion des ressources évoquée précédemment. Tout bon survival-horror oblige le joueur à gérer minutieusement son stock d’objets disponibles.
Silent Hill: Origins est un bon exemple de dérive. Ici, le personnage principal peut transporter un nombre illimité d’éléments. S’il souhaite casser un objet, il peut transporter plus de dix postes de télévision pour pouvoir le faire.
L’éternel retour en arrière participe à la tension et à la perte de liberté que ressent le joueur coincé dans un véritable labyrinthe. Souvenez-vous de la machine à écrire dans Resident Evil. Tant que le joueur n’avait pas atteint la suivante, impossible de sauvegarder sa progression. En cas de défaite suite à une rencontre inopinée avec des zombies, on revenait un peu en colère mais meilleur. La dextérité des personnages (Jill ou Chriss Manson), outre les limitations des différents supports, n’en était que renforcée.
Si nous prenons l’exemple de Resident Evil 3 Remake, le jeu propose un mode de sauvegarde automatique en renfort des 20 machines à écrire disséminées au sein du jeu. C’est un filet de sécurité mais cela ôte de la tension.
Les effets visuels sont un véritable allié pour instaurer une ambiance et sublimer l’horreur. Ils vont permettre d’amplifier le sentiment d’isolement et d’être cerné par l’inconnu. Globalement, le travail sera centré sur le choix des couleurs et la gestion de l’éclairage. On retrouvera des couleurs incontournables telles que le noir, les nuances de gris et le rouge. Dans certains jeu, le gris (brouillard) masque complètement l’horizon. Voyez par exemple l’horizon dans Silent Hill ou encore les vitres du manoir Spencer dans Resident Evil.
Les effets sonores participent également à la tension d’un bon jeu d’horreur. La saga Project Zero en est un bon exemple. Projet Zero 5 propose des effets sonores et une OST qualitative. C’est l’achétype du survival-horror qui repose sur une bande-son qui fait claquer des dents.
Dans ces jeux de la licence Koei Tecmo, vous êtes tourmenté par des esprits situés dans un monde spectral. Le joueur peut détecter la présence des esprits par des bruissements horrifiants. Il faudra les prendre en photo pour les faire changer de plan afin qu’ils puissent disparaître. L’utilisation de l’appareil photo apporte une petite dose de stress supplémentaire, d’autant que toutes les actions s’effectuent en vue à la première personne avec un champ de vision obstrué.
Résoudre des énigmes avec différents rouages et mécanismes est au cœur de tout bon survival-horror. C’est ce qui permettra au joueur de sortir d’un dédale qui n’en avait absolument pas l’apparence mais qui n’attendait qu’un visiteur pour produire ses effets. Résoudre ces casse-tête n’est pas toujours de tout repos. Bien souvent, le joueur tourne en rond. À d’autres moments, il rebrousse chemin pour récupérer des objets dans une zone déjà explorée qu’il croyait sûre. Cela réserve toujours de petites frayeurs. Ces puzzles permettent au gamer de gagner des défis censés le rapprocher d’une vérité. Tout cela maintient la tension.
4. Les jeux d’horreur ont besoin d’incertitude
L’écrivain Buffon disait dans Histoire naturelle que la nuit n’est pas seulement une absence de lumière mais aussi une présence. « C’est de là que viennent la frayeur et l’espèce de crainte intérieure que l’obscurité de la nuit fait sentir à presque tous les hommes ». D’ailleurs, la peur du noir s’explique en partie par l’altération de notre repère sensoriel dominant : la vision. Nos certitudes font place à notre imaginaire sollicité par tous nos autres sens, en particulier l’audition. Et c’est ce que recherchent les développeurs de tout bon jeu d’horreur : nous faire douter de nos certitudes. Est-ce un craquement, une personne, une créature ou un monstre ?
La plupart des jeux d’horreur qui font référence ont le point commun de maintenir le joueur dans une certaine obscurité. Peu importe la forme que revêtent les chimères et autres revenants, ils sont toujours sublimés par le joueur à cause du manque d’information et de visibilité. Cela génère des incertitudes et les rendent plus effrayants.
Silent Hill a mis la barre relativement haut sur ce point. On ne peut définir ce que sont les créatures ni dans quel lieu on se trouve réellement. Sommes nous à Silent Hill ou dans l’esprit du protagoniste ? Ou est-ce un mélange des deux ? Parfois on en vient même à douter de l’identité du personnage principal. Les objets du quotidien se dévoilent sous un aspect inquiétant, que ce soit un fauteuil roulant abandonné ou encore un téléphone. Le jeu détourne aussi les codes de l’enfance et leur donnent une dimension horrifique. Le joueur rencontrera de grands lapins roses souriants au regard fixe et au visage ensanglanté. Certaines pièces présentent une double facette et révèlent de nombreuses surprises. Souvenez-vous la Store Room de l’hôpital Brookhaven. Il y faudra résoudre de nombreuses énigmes enchevêtrées pour pouvoir quitter cet hôpital d’épouvante.
Introduire un monstre déjà connu
C’est l’inconnu qui stimule le joueur, le fait d’ignorer où il s’aventure. L’exercice est encore plus difficile quand il s’agit d’introduire un monstre mondialement connu au cinéma tel qu’Alien. Dans Alien: Isolation, le tour de force des développeurs est de restituer une ambiance aux petits oignons digne du film. On se retrouve à bord du Nostromo et on ressent rapidement de la claustrophobie, accentuée par la présence inquiétante d’Alien. Toutes les mécaniques du jeu sont fidèles au film et font honneur au survival-horror. Le peu d’armes dont on dispose sont des copies exactes de celles du film. Les plus efficaces restent les bombes sonores qui servent à détourner l’attention. Certains adversaires comme les cyborgs sont inattaquables au corps à corps, ce qui amplifie l’aspect survie et infiltration du jeu.
Une petite tactique qui vise à créer de l’incertitude fonctionne très bien dans Resident Evil Rebirth. Il faut brûler le corps de tous les zombies éliminés au risque qu’ils se relèvent plus agressifs et dangereux. Oui mais voilà : pour brûler les revenants KO, les joueurs doivent disposer d’allumettes et de kérosène, deux ressources limitées. Les zombies ont la fâcheuse tendance à ressusciter de manière aléatoire. Ainsi, le joueur ne peut jamais vraiment savoir quand ils vont se relever et s’il faut ou non les brûler. Resident Evil 7 et les suivants ne s’inscrivent pas dans cette tendance. Le jeu The Evil Within reprend ce mécanisme d’ennemis feignant la mort pour se relever et attaquer.
L’incertitude est liée à son environnement et aux actions de ses ennemis. Elle est essentielle à un bon jeu d’horreur. L’inverse, qui induit une bonne connaissance de son environnement et de ses adversaires, donne trop de pouvoir au joueur.
5. Les jeux d’horreur ont besoin d’une peur persistante
Une bonne expérience d’horreur marque le spectateur. Pour réussir, inutile de l’exposer à un bain de sang ou à un massacre à la tronçonneuse. Il faut réussir à créer un concept qui se nourrit d’une peur persistante – par l’imaginaire et l’inconscient du spectateur – et par la complexité de l’environnement, d’autrui et d’un double négatif. Quel que soit le thème abordé, il doit le mettre face à ses pires contradictions. Sur le terrain de l’horreur, c’est toujours notre humanité qui est remise en question. D’ailleurs, toute bonne expérience d’horreur s’établit sur le terrain psychologique, l’horreur visuelle n’étant que la personnification de distorsion de la psyché.
Repensons à la mise en scène de Dracula de Coppola. On nous présente le conte comme un personnage aux pouvoirs mystiques. Pourtant, la plupart de ses actions sont suggérées, le plus souvent par des effets d’ombres. Apeurés et sur nos gardes, on le voit ramper sur les pierres de son château à plus de mille pieds. Plus tard, on le retrouve métamorphosé en loup garou qui copule. La transformation est suggérée sans que l’on y assiste, ce qui ajoute de la peur persistante. D’autres très bonnes personnifications de la peur persistante existent au cinéma, notamment Freddy Krueger ou le « Ça » de Stephen King.
La Nemesis de Resident Evil est un bon exemple de double négatif. Elle nous questionne sur l’humanité et l’identité du véritable monstre. Ce zombie colossal et acharné n’est finalement qu’une coquille vide contrôlée par des hommes.
Un jeu d’horreur peut se concentrer sur le développement d’un personnage. Silent Hill met en perspective un environnement qui reflète les luttes psychologiques et émotionnelles. Les personnages qui y vivent sont des gens ordinaires avec leurs luttes et leurs craintes, mais leur psychisme se défait. Les voir sombrer questionne le joueur sur son propre Silent Hill. Projeté dans ce monde, comment son environnement se modulerait-il ? Comment ses peurs, ses angoisses et son stress se manifesteraient-ils ?
La fragilité de la condition humaine est une thématique classique du jeu d’horreur. Le survival-horror Call of Cthulhu, qui se base sur le film éponyme, propose d’opposer l’humanité à une puissance infiniment supérieure. Dans ce jeu, le joueur se sent infime au sein de son propre monde, face à une toute-puissance malveillante. Ce jeu utilise la peur persistante d’une manière exceptionnelle et le résultat vaut le détour.
Les jeux d’horreur révèlent notre part d’ombre
Carl Jung a écrit « Connaître ses propres ténèbres est la meilleure méthode pour faire face aux ténèbres des autres. » Le célèbre psychiatre nous parle de la capacité à explorer les aspects cachés et refoulés de notre psychisme. Ces zones d’ombre révèlent les aspects les plus positifs mais aussi les plus troublants de notre personnalité, ceux qui nous invitent à nous remettre en question. En dehors de leur aspect vidéo-ludique, les survival-horror nous aident à avoir une meilleure compréhension de nous-même et d’autrui. Ils révèlent nos zones d’ombre, leur donnent forme et nous permettent de les identifier.
Moins notre part d’ombre ne s’incarne dans la vie consciente, plus elle s’exprime de façon inconsciente et dense. En allant à la rencontre de nos démons intérieurs, nous les empêchons de pénétrer la vie consciente de façon destructrice. Dans le cinéma et les jeux d’horreur, c’est un classique d’exposer de manière sûre et hyperbolique les ombres à l’origine de nos peurs profondes. Les jeux d’horreur ont aussi une fonction de catharsis tragique. En agissant telle une purge, ils permettent au joueur de se libérer de la peur qui nourrit son anxiété quotidienne. Les jeux d’horreur peuvent aider à rediriger nos peurs psychologiques vers quelque chose d’extérieur terrifiant afin de les affronter et de réduire leur pouvoir sur nous.
Evidemment, les jeux d’horreur ne sont pas adaptés à tous les publics et ne plaisent pas à tous les joueurs. Les aficionados du genre apprécient cette expérience qui augmente le sentiment de peur et qui permet une grande libération cathartique. Quand on joue avec modération, c’est un voyage à la fois amusant et instructif. Enfin, faut-il encore qu’on ait le plaisir de jouer à un jeu qui regroupe tous les éléments d’un bon survival-horror.