Cinéma

Le Néoréalisme italien : une fracture poétique dans le miroir du XXe siècle

Naissance d’un regard : aux origines du néoréalisme

Le néoréalisme italien n’est pas né dans les studios, mais dans les rues effondrées d’un pays meurtri. En 1943, alors que l’Italie tente de se relever des ruines de la guerre et du fascisme, une poignée de cinéastes pose la caméra hors des plateaux, avec pour seules armes la lumière naturelle, des acteurs non-professionnels et un désir farouche de vérité.

Mais bien avant la guerre, Cesare Zavattini, théoricien et scénariste, appelait de ses vœux un cinéma “de la vie quotidienne”, débarrassé des fictions édulcorées. Ses idées influenceront profondément ceux qu’on considère aujourd’hui comme les pères fondateurs du mouvement.

Les précurseurs : Visconti et De Sica, poètes du réel

En 1942, Luchino Visconti donne le ton avec Ossessione, librement inspiré du roman Le facteur sonne toujours deux fois. Ce film noir, fiévreux et charnel, anticipe à la fois le réalisme social et l’esthétique brute qui deviendront la marque du néoréalisme.

Le Néoréalisme italien : une fracture poétique dans le miroir du XXe siècle

Mais c’est Vittorio De Sica, avec Zavattini à l’écriture, qui en définira la forme la plus aboutie : Sciuscià (1946), Le Voleur de bicyclette (1948), ou encore Umberto D. (1952), dépeignent une Italie où les petites gens sont les véritables héros. L’humanité devient le sujet, la misère le décor, et l’espoir discret la lumière.

Un art né de la défaite : le contexte historique

L’Italie post-fasciste est une terre désenchantée. Le peuple est fatigué, les institutions sont discréditées, les infrastructures détruites. Le cinéma des années 1930, concentré à Cinecittà, baignait dans des fresques fastueuses ou des comédies futiles, loin des réalités.

Le néoréalisme surgit dans l’urgence, au croisement du vide moral et de l’inspiration documentaire. Les pellicules sont rares, les moyens réduits. Ce dépouillement devient un style. L’esthétique se met au service du fond. Et ce fond, c’est le quotidien, avec ses douleurs, ses silences, et ses gestes minuscules.

L’onde de choc : influence et rayonnement

Le néoréalisme a renversé le regard. Il a prouvé que l’on pouvait faire du cinéma sans stars, sans studios, sans artifices. Jean Renoir le saluera comme « le cinéma de demain ». En France, il inspirera directement les cahiers du cinéma, puis la Nouvelle Vague.

Le Néoréalisme italien : une fracture poétique dans le miroir du XXe siècle
Italian actor Marcello Mastroianni (1924 – 1996) and Swedish actor Anita Ekberg hold hands in a scene from director Federico Fellini’s film, ‘La Dolce Vita,’ 1960. (Photo by American International Pictures/Courtesy of Getty Images)

Dans le monde, il influencera le cinéma brésilien (cinéma novo), l’Iran des années 1990, ou encore des auteurs comme Ken Loach et les frères Dardenne. Le néoréalisme est devenu une langue commune du cinéma engagé, un lexique universel du réel poétique.

Hybrides et mutations : quand le réel flirte avec le mythe

Dès la fin des années 1950, le mouvement s’hybride. Federico Fellini, formé dans l’ombre de Rossellini, emprunte au néoréalisme sa base documentaire, mais y injecte le rêve, la psychanalyse, le baroque. La Strada (1954), Les Nuits de Cabiria (1957) marient misère et lyrisme.

De même, Pier Paolo Pasolini pousse l’expérience vers le sacré et le politique, avec une tension entre violence du réel et langage poétique. Cette hybridation, bien qu’éloignée du style originel, a permis au néoréalisme de continuer à vivre par fragments, plutôt que de s’éteindre.

Le sommet et la bascule

Le point culminant du mouvement est sans doute atteint avec Le Voleur de bicyclette en 1948, œuvre emblématique qui résume à elle seule l’esprit du néoréalisme : une quête simple, un homme ordinaire, une ville indifférente.

Mais dès les années 1950, la reconstruction économique, l’embourgeoisement progressif du public, la pression commerciale et l’influence américaine freinent le mouvement. Cinecittà redevient le centre d’un cinéma plus spectaculaire, plus international. Le néoréalisme laisse alors la place au cinéma d’auteur, mais ses valeurs restent sous-jacentes.

Que reste-t-il du néoréalisme en 2025 ?

En 2025, le néoréalisme n’est pas mort, il a changé de forme. Il ressurgit sous des esthétiques variées, dans des cinémas fragiles ou militants. On le retrouve dans le regard de Laura Samani (Piccolo Corpo), dans les plans étirés de Alice Rohrwacher, ou encore chez Jonas Carpignano, dans A Chiara (2021).

Le Néoréalisme italien : une fracture poétique dans le miroir du XXe siècle

Le documentaire et la fiction s’interpénètrent désormais. Les plateformes comme Netflix ont paradoxalement permis à des œuvres aux accents néoréalistes d’atteindre un large public, tout en les soumettant à une logique d’audience. Le néoréalisme n’est plus un style, mais un principe de regard, une manière de filmer l’autre avec dignité et pudeur.

Le legs du néoréalisme : une morale sans leçon

Le néoréalisme ne cherchait pas à enseigner. Il montrait. Il observait. Il faisait confiance à la complexité humaine, à ses silences et ses contradictions. En cela, il fut un tournant, un moment de bascule où le cinéma cessa d’être un miroir déformant pour devenir un miroir sincère.

C’est sans doute pour cela qu’il touche encore aujourd’hui : parce qu’il nous rappelle à l’essentiel, à ce que peut être le cinéma lorsqu’il n’oublie pas de regarder.

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