Numéro 17 (1932) d’Hitchcock : comédie noire ou énigme absurde ?
En 1932, Alfred Hitchcock signe avec Numéro 17 (Number Seventeen) un film qui détonne dans son parcours. Adapté d’une pièce de Joseph Jefferson Farjeon, ce court-métrage d’à peine plus d’une heure est souvent jugé mineur, voire confus. Pourtant, il s’agit d’une œuvre révélatrice : non pas d’un échec, mais d’une tentative, bancale mais assumée, de déconstruction du polar classique, dans un moment de tension entre commande industrielle et instinct de cinéaste.
Une commande qu’il retourne contre elle-même
Le film naît sous contrainte. Après l’échec de The Skin Game, la British International Pictures impose à Hitchcock ce projet, qu’il accepte sans enthousiasme. Mais plutôt que de s’y plier servilement, il choisit d’en faire une parodie déguisée, une manière ironique de répondre à une commande par une œuvre qui en sabote les fondements. Le scénario — volontairement absurde — devient un terrain de jeu pour tester les limites du genre, en détournant ses archétypes.
Une galerie de personnages flous et déphasés
Le casting, dominé par Leon M. Lion dans le rôle de Ben, opte pour un ton théâtral et burlesque, à rebours du réalisme attendu dans un thriller. John Stuart et Anne Grey, plus sobres, semblent parfois étrangers à l’univers que le film tente de créer. Le décalage est manifeste : les acteurs ne jouent pas tous le même film. Mais c’est précisément ce flottement qui intéresse Hitchcock. Plutôt qu’une direction uniforme, il laisse s’installer une dissonance volontaire, où la tension est moins dans les dialogues que dans la manière dont chacun tente de faire sens dans le chaos ambiant.
Une mise en scène qui cherche dans la forme ce que le fond n’offre pas
Privé d’un scénario solide, Hitchcock se concentre sur l’image. Les jeux d’ombre, les mouvements de caméra étranges, les compositions déroutantes trahissent une volonté de stylisation, qui rappelle l’influence de l’expressionnisme allemand. La scène finale, une poursuite entre un train et un autobus filmée avec des maquettes, mêle maladresse et ingéniosité. On y sent l’urgence de créer, malgré le manque de moyens.
Visuellement, le film vaut davantage pour ses audaces que pour sa cohérence. Le spectateur n’y est jamais guidé. Hitchcock refuse ici la clarté narrative, au profit d’une déstabilisation continue, parfois brillante, parfois vaine.
Un film de rupture, plus qu’un film d’échec
Il serait trop facile de balayer Numéro 17 comme un ratage. Certes, l’histoire est incohérente, le ton oscille entre comique et inquiétude sans jamais se stabiliser, et la tension dramatique peine à s’installer. Mais l’intérêt du film est ailleurs : dans cette manière qu’a Hitchcock de tester, détourner, saboter, tout en laissant affleurer, sous la parodie, les germes de son futur style.
Le faux détective, le personnage muet qui dissimule une identité, les décors claustrophobes, les escaliers, les reflets dans les vitres… tout est là, encore brut, mais déjà fertile.
En sortant de la salle
On ne sort pas de Numéro 17 avec un sentiment de satisfaction. On en sort intrigué, dérouté, un peu frustré aussi. L’intrigue ne se résout pas vraiment, les personnages ne trouvent pas leur place, et pourtant quelque chose agit. Une mécanique visuelle est en train de naître. Elle est instable, mais vivante.
Conclusion
Numéro 17 n’est pas un bon film au sens académique. Mais c’est un film nécessaire pour comprendre le parcours de Hitchcock. Il témoigne d’un moment où le réalisateur, encore prisonnier de commandes sans âme, décide de filmer autrement, de chercher malgré tout. Il refuse l’ennui, même si cela doit passer par la déconstruction complète des règles. Ce n’est pas encore l’âge d’or, mais c’est l’ébauche d’un langage. Et c’est précisément ce qui le rend passionnant.