La Fin de l’âge de fer de Clément Schneider
Une utopie en décomposition filmée à la lisière du réel
Clément Schneider : le cinéma comme geste politique
Réalisateur issu de la Fémis, Clément Schneider poursuit avec La Fin de l’âge de fer un itinéraire marqué par la recherche d’une forme libre et d’une pensée en mouvement. Après Un violent désir de bonheur, réflexion sur l’idéal révolutionnaire à l’aube du XIXe siècle, il renoue ici avec une ambition comparable, mais déplace son regard vers un avenir proche, incertain et toxique.
Ce parcours s’inscrit dans une démarche artisanale et intellectuelle. Le cinéaste produit ses films sous sa propre structure, Les Films d’Argile, fidèle à une idée du cinéma autonome, à rebours des circuits industriels.
Un film manifeste au service d’une vision
Le récit suit Ulysse, un jeune chimiste en rupture, qui dérobe un micro-organisme capable de désagréger tous les métaux. Ce vol radical, à l’ère d’un capitalisme fossilisé, devient le prétexte à une expérience de désobéissance absolue.
La mise en scène assume une esthétique low-tech : found footage, visioconférences pixelisées, extraits de journaux, enregistrements vidéos amateurs. Cette grammaire visuelle évoque autant le cinéma de la débrouille que les archives du présent. C’est précisément là que réside l’ambition — et parfois la limite — du projet : proposer une utopie par le bricolage, quitte à désarçonner.
Une distribution investie, mais inégale
Mathieu Barché, dans le rôle d’Ulysse, porte le film avec une énergie brute. Il incarne la tension entre lucidité et fanatisme, avec une gravité qui traverse chaque plan. Angèle Peyrade (Hélène) lui donne une réplique sensible, plus retenue, tandis qu’Ahmed Hamadi apporte une intensité orale aux joutes idéologiques.
En revanche, certaines scènes, notamment celles jouées par des acteurs non-professionnels ou filmées à distance, souffrent d’une direction d’acteurs parfois lâche. Le jeu perd en densité, et l’effet documentaire glisse par moments vers l’artifice.
Un film conceptuel, qui assume le risque du rejet
Ce film est un projet de pensée, autant qu’un récit. Il interroge les limites de la fiction, les usages de la technologie, et la capacité de l’image à rendre compte d’un monde au bord du basculement.
Mais cette densité théorique a un revers : la narration se fragmente, et certains spectateurs pourront ressentir une distance émotionnelle. L’absence de musique, l’usage de caméras fixes ou tremblantes, les ruptures de ton volontaires créent une œuvre radicale, mais clivante.
En sortant de la salle : entre vertige et doute
On quitte le film interpellé, mais pas toujours conquis. L’ambition du projet est indéniable, sa proposition visuelle singulière, et sa volonté de penser la catastrophe comme libération est rare dans le cinéma français.
Cependant, cette démarche peut laisser une sensation d’opacité, voire de frustration, tant le film s’éloigne de toute forme narrative classique.
Conclusion
La Fin de l’âge de fer est une œuvre qui divise avec raison : audacieuse, âpre, engagée, mais parfois hermétique. Clément Schneider y confirme sa volonté de faire du cinéma un espace de réflexion collective, quitte à sacrifier la fluidité du récit à l’intensité du propos. Une œuvre qui exige plus qu’elle ne séduit, et qui, justement, mérite d’être vue à cette hauteur-là.