Cinéma

Meurtre d’Hitchcock (1930) : entre spectacle et tragédie judiciaire

Meurtre (Murder!) marque une étape charnière dans la carrière d’Alfred Hitchcock. En 1930, alors que le cinéma britannique entame sa transition vers le sonore, le cinéaste livre ici un film dense, ambitieux et inégal. Il ne s’agit pas encore d’un chef-d’œuvre, mais d’une œuvre où transparaissent déjà les lignes directrices d’une vision singulière : une conscience aiguë du regard, un questionnement sur la culpabilité intérieure, et un usage du médium cinématographique comme outil d’analyse morale.

Un théâtre de la vérité

Le film s’ouvre sur un meurtre commis dans une troupe itinérante. Diana Baring, jeune comédienne, est arrêtée et rapidement jugée. Tous les éléments matériels l’accablent. Mais un seul homme, Sir John Menier — acteur réputé et membre du jury — doute. C’est ce doute intime, silencieux, qui enclenche l’enquête et oriente tout le récit : le théâtre devient alors le lieu même où se rejoue la vérité.

Meurtre d’Hitchcock (1930) : entre spectacle et tragédie judiciaire
« Meurtre » de Alfred Hitchcock (1930)

Hitchcock s’intéresse moins à l’élucidation du crime qu’à la question suivante : comment l’homme, en proie à ses contradictions, peut-il décider de la culpabilité d’un autre ? Le procès, la prison, les interrogatoires deviennent autant de scènes, et chaque personnage, volontairement ou non, endosse un rôle. Ce jeu permanent sur le vrai et le faux traverse tout le film, jusqu’au dénouement.

Une distribution à l’équilibre instable

Herbert Marshall, dans le rôle de Sir John, impose un raffinement calme. Sa voix posée, sa retenue, son regard troublé incarnent à merveille cette figure du gentleman tourmenté. Il ne surjoue pas l’intelligence ; il observe, il rumine, il doute. C’est probablement la meilleure prestation du film.

À l’inverse, Norah Baring, dans le rôle de Diana, adopte un jeu expressif à l’excès, hérité du muet, qui rompt parfois avec la tonalité sobre du reste du casting. Le contraste est saisissant, sans être totalement dissonant : il participe même à la construction d’une forme d’ambiguïté autour de son personnage. Est-elle innocente ou manipulatrice ? Victime ou actrice ?

Meurtre d’Hitchcock (1930) : entre spectacle et tragédie judiciaire
« Meurtre » de Alfred Hitchcock (1930)

Certains rôles secondaires souffrent, en revanche, d’un traitement caricatural, en particulier les policiers et les membres de la troupe. Leur fonction dramatique est limpide, mais leur incarnation manque de finesse.

Une mise en scène qui interroge plus qu’elle n’impressionne

Techniquement, Meurtre est un film d’expérimentation sonore. Hitchcock cherche, tâtonne, invente. La scène du rasage, où Sir John médite sur l’affaire en écoutant de la musique, est remarquable : il y fait jouer un enregistrement musical directement sur le plateau pour créer une immersion inédite. C’est l’une des premières tentatives de monologue intérieur au cinéma parlant.

La mise en scène, sobre, est construite autour de la parole et du regard. Hitchcock refuse l’esbroufe. Il privilégie les silences tendus, les jeux de cadrage dans les espaces clos, les dissymétries du cadre qui traduisent la tension morale.

Mais certaines séquences accusent leur âge : la lenteur du montage, des ellipses parfois maladroites, et une musique illustrative un peu insistante brident l’intensité dramatique. On sent le cinéaste en apprentissage du langage sonore, encore attaché à certaines conventions du muet.

Une œuvre hantée par la justice intérieure

Ce qui subsiste, ce n’est pas l’intrigue policière — relativement prévisible —, mais le trouble moral. Que vaut un jugement si l’un des jurés se sait incertain ? Que vaut une vérité collective si elle repose sur un compromis de confort ? Hitchcock ne cherche pas la réhabilitation spectaculaire. Il filme l’inconfort du soupçon, le poids du doute, et la difficulté d’exister lorsque l’on n’est pas cru.

Meurtre d’Hitchcock (1930) : entre spectacle et tragédie judiciaire
« Meurtre » de Alfred Hitchcock (1930)

Dans la scène finale, lorsque la vérité est rétablie, il n’y a ni jubilation ni apaisement. Seulement un regard vide, un rideau qui se ferme. Le théâtre s’éteint, mais la culpabilité ne s’évacue pas.

En sortant de la salle

Meurtre laisse une impression de gravité lente, parfois frustrante, mais incontestablement singulière. On y voit un Hitchcock encore en recherche, mais déjà obsédé par les rouages de la conscience humaine. C’est une œuvre imparfaite, mais fondamentale pour comprendre son évolution future. On y devine ce que deviendra bientôt son cinéma : un miroir tendu à l’homme qui juge, à l’homme qui regarde, et à l’homme qui doute.

Conclusion

Meurtre n’est pas un thriller de tension. C’est un film sur la fragilité du discernement, sur le rôle qu’on joue au tribunal comme dans la vie, et sur la peur de se tromper. C’est aussi un laboratoire d’idées où Hitchcock commence à modeler son regard de moraliste moderne. Loin des effets spectaculaires, il met en place une dramaturgie discrète, presque sèche, mais d’une rigueur qui appelle le respect. Un film pour ceux qui veulent comprendre, non pas le Hitchcock des apparences, mais celui des fêlures.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page