Les brouteurs, véritables pro de la manipulation et de l’arnaque à distance
Le mot brouteur, issu de l’argot ivoirien (le nouchi), caractérise certains cybercriminels de l’Afrique de l’Ouest, adeptes de la sextorsion et du spamming. Le terme fait sans doute référence au mouton qui se nourrit sans effort. La cybercriminalité est apparue aux Etats-Unis à la fin des années 90 avec l’essor du Web. On peut la diviser en deux catégories. D’un côté, infiltrer ou espionner un système. De l’autre, les cyber-arnaques. La seconde catégorie correspond parfaitement aux techniques utilisées par les brouteurs. Leurs actions font régulièrement l’objet d’articles de la presse locale et internationale.
Le CI-CERT, Centre de surveillance et de traitement des incidents informatiques, participe à la lutte contre la cybercriminalité en Côte d’Ivoire. Il révèle qu’en 2018 le préjudice financier lié à la cybercriminalité est de 112 419 75,16 soit 43 % de plus que l’année précédente. Le nombre de plaintes déposées est aussi en augmentation de 19 % et passe de 2408 à 2860.
Ces chiffres ne concernent que la Côte d’Ivoire. Pourtant, ils indiquent clairement que la cybercriminalité – et particulièrement l’activité des brouteurs – est entrée dans les mœurs. Nous reviendrons sur le profil et les actions des ses arnaqueurs. Nous verrons aussi comment leurs arnaques en ligne constituent un frein pour le développement de la région.
Qui sont les brouteurs et autres cyber-arnaqueurs ?
La plupart des brouteurs viennent de familles défavorisées, et ce quelque soit le pays concerné (Bénin, Côte d’Ivoire, Nigéria, Ghana). Certains vont commencer leur activité très tôt et parfois à leur propre compte. Il n’est pas rare de voir des pirates informatiques dans les cyber-cafés dès l’âge de 12-13 ans. On trouve aussi des personnes à la recherche d’un emploi, celles qui gagnent peu d’argent et qui souhaitent arrondir leurs fins de mois, ou encore des étudiants à l’Université et des lycéens ! Toutefois, on constate qu’à l’inverse du Nigéria, ils n’appartiennent pas à de très gros réseaux structurés à l’international. L’ATCI indique que les premiers réseaux de cybercriminels seraient arrivés du Nigéria, fuyant la répression juridique sévère contre leurs activités.
Des techniques d’arnaque anciennes maintenues à jours
Pour appâter et arnaquer leurs « proies » ils utilisent des techniques de piratages assez simples. Ils vont enregistrer de faux profils ou ils se feront passer pour de jeunes femmes, hommes à la recherche d’une relation. Ensuite ils feront du spamming ou de la sextorsion ( arnaque à la webcam) qu’ils vont recycler ou améliorer. Pour tromper la vigilance de leurs interlocuteurs lors des échanges ils feront très attention aux formulations et aux fautes d’orthographe. Aujourd’hui, grâce à la prise de conscience des autorité ivoiriennes, les cybercriminels sont plus surveillés sur les réseaux sociaux. Les brouteurs deviennent beaucoup plus méfiants. Ils ne se vantent plus ouvertement d’avoir piégé leur « mugu », des victimes souvent occidentales (bien que de plus en plus de spammeurs ciblent des victimes africaines). Cela dit, il existe toujours des groupes sur les réseaux sociaux au sein desquels ces cybercriminels échangent leurs techniques d’arnaque. D’autres communautés en ligne (sites de rencontres, groupes Facebook dédiés) sont utilisées comme appâts pour ces jeunes hommes en quêtes d’arnaques sentimentales et de pigeons à faire chanter.
Les spammeurs qui osent s’exprimer face à un média le font avec fierté et une pointe de mépris pour leurs victimes. Pour eux, c’est un jeu auquel leur victime a perdu. Certains pensent même qu’ils l’ont mérité. Certains se voient comme des Robins des Bois et perçoivent leurs actes comme une sorte de revanche. Ils n’hésitent pas à se prendre en photographie avec quelque liasse de francs cfa obtenus grâce à se type d’arnaque sur internet.
Le phénomène a pris une telle ampleur qu’il a des répercussions économiques. Les entrepreneurs ivoiriens ont des difficultés à nouer des partenariats avec les acteurs internationaux à cause de la mauvaise image électronique de la Côte d’Ivoire. Pour enfoncer le clou, le pays est fiché par l’Union Européenne comme pays à ne pas fréquenter élèctroniquement.
Pour conclure, la plupart des médias et des acteurs du Web interprètent ce phénomène comme une volonté de la part de ces férus des NTIC de faire de l’argent facile tout en faisant un pied de nez à leurs victimes. On observe toutefois que ce processus requiert des connaissances et une veille constante sur les NTIC. L’activité demande aussi certaines qualités d’interaction sociale, notamment une bonne intelligence émotionnelle. Le déploiement de ces technologies fut la promesse du développement d’une nouvelle économie, dite numérique. Mais le fait que certains pirates commencent aussi jeunes que 12 ans est la preuve que ce déploiement s’est fait sans un accompagnent nécessaire, et au détriment de l’éducation. Même si les brouteurs continuent leurs arnaques, les autorités continuent à durcir le ton et l’ATCI veille à sensibiliser les différents acteurs du numérique par des forums, des conférences et des stages.