Laquelle des trois ? (1928) – The Farmer’s Wife : une rare comédie champêtre d’Hitchcock
Avec Laquelle des trois ? (The Farmer’s Wife), Alfred Hitchcock adapte en 1928 une pièce de théâtre d’Eden Phillpotts, livrant une comédie sentimentale rurale, très éloignée de ce qui fera sa légende. Il s’agit ici d’un film de commande, exécuté avec application mais sans véritable souffle. Le jeune Hitchcock y montre sa capacité à maîtriser le langage cinématographique muet, mais l’ensemble reste une œuvre mineure, aux limites évidentes.
Une intrigue simple, au bord du cliché
L’histoire se déroule dans la campagne anglaise. Samuel Sweetland, fermier récemment veuf, décide de se remarier. Il dresse une liste de femmes du voisinage, toutes jugées « convenables », et entreprend de leur faire la cour. Une à une, elles le rejettent. Pendant ce temps, sa fidèle gouvernante Araminta l’assiste, en silence. Ce n’est qu’après l’échec de ses tentatives qu’il comprend que l’amour véritable était là, sous son nez, depuis le début.
Une intrigue de vaudeville inversé, presque mécanique, où le spectateur devine l’issue dès les premières minutes.
Des performances honnêtes, sans fulgurance
Jameson Thomas campe un Samuel à la fois bourru et maladroit. Il parvient à ne pas trop forcer la caricature, mais ne transcende jamais son rôle. Lillian Hall-Davis, déjà remarquée dans Le Masque de cuir, incarne Araminta avec douceur et retenue. Son jeu, très sobre, donne au film ses rares moments de vérité émotionnelle.
Les personnages secondaires sont traités de façon fonctionnelle. Leur principal ressort est comique, mais l’humour repose sur des stéréotypes figés, difficilement recevables aujourd’hui.
Une mise en scène appliquée, mais étouffée par le matériau
Hitchcock, encore jeune mais déjà expérimenté, s’efforce de dépasser le cadre rigide de la pièce d’origine. Il utilise des mouvements de caméra soignés, des compositions de plans élégantes, et un montage qui tente de rythmer les scènes. Pourtant, le scénario le retient, comme s’il était pris dans une structure figée.
Le film, tourné entièrement en studio, manque d’oxygène. Les champs, les fermes, les salons, tous filmés en intérieur, donnent une impression de théâtre filmé que Hitchcock ne parvient que partiellement à contourner.
Une comédie morale sans grande portée
Laquelle des trois ? aborde des thèmes comme la solitude après le deuil, l’aveuglement social, ou encore l’amour de proximité ignoré. Mais tout cela reste à l’état d’esquisse. Le propos est mince, et l’enjeu dramatique jamais réellement creusé. On suit le parcours de Samuel plus par curiosité que par empathie.
Le film ne propose ni réflexion, ni regard particulier sur la société ou la condition féminine. Il reste dans une logique de distraction légère, sans mordant.
Les limites du film
Malgré l’intérêt historique que représente Laquelle des trois ?, le film souffre de plusieurs faiblesses notables. Son rythme globalement poussif se manifeste surtout dans la première moitié, où certaines scènes s’étirent inutilement sans densité narrative réelle.
L’humour, quant à lui, semble daté, reposant sur des refus humiliants et des stéréotypes féminins qui, loin de susciter le rire, provoquent aujourd’hui un sentiment de gêne. La structure narrative, trop balisée, contribue également à l’essoufflement de l’ensemble : dès l’apparition de la deuxième prétendante, le spectateur anticipe sans mal l’issue finale, ce qui ôte toute tension dramatique.
Enfin, la reconstitution en studio de la campagne anglaise, bien qu’efficace dans certains cadres fixes, manque de souffle et de naturel. Le décor donne une impression d’artificialité, presque théâtrale, qui confine parfois à l’étroitesse visuelle.
En sortant de la salle
Laquelle des trois ? laisse peu de traces. Ce n’est pas un film désagréable, mais il est oubliable. On y perçoit un cinéaste sérieux, désireux de faire bien, mais bridé par un matériau trop limité. Ce que l’on retient surtout, c’est la discipline formelle d’un Hitchcock qui, même quand il s’ennuie, soigne son cadre et son tempo. Il y a ici plus de savoir-faire que d’inspiration.
Conclusion
Ce film n’est ni une erreur, ni une promesse. C’est un exercice, un passage obligé dans la carrière d’un réalisateur qui n’a pas encore trouvé sa voie. Laquelle des trois ? témoigne d’une rigueur professionnelle, mais ne dit presque rien du cinéaste qu’Hitchcock deviendra. Une curiosité à voir pour les historiens du cinéma — pas pour découvrir son style. Le vrai Hitchcock n’est pas encore là. Il attendra un autre script, un autre genre, une autre intensité.