Critique du film Songe de Rashid Masharawi

Œuvre d’un cinéaste ancré dans la réalité palestinienne
Rashid Masharawi est l’une des voix les plus respectées du cinéma palestinien contemporain. Né en 1962 dans le camp de réfugiés de Shati à Gaza, il construit depuis les années 1990 une filmographie à la fois modeste dans ses moyens mais puissante dans ses intentions. Son regard de réalisateur est constamment tourné vers le quotidien des Palestiniens, qu’il aborde avec retenue et humanité.
Une métaphore douce-amère de la condition palestinienne
Avec Songe (Passing Dreams), Masharawi poursuit sa démarche de cinéma-témoignage. Il met en scène Sami, un garçon de 12 ans à la recherche de son pigeon voyageur disparu. Cette trame simple se déploie comme un road movie à hauteur d’enfant, traversant la Cisjordanie, Jérusalem et Haïfa. Le film, épuré dans sa narration comme dans sa forme, porte une réflexion profonde sur la résilience et le désir d’évasion dans un contexte verrouillé.
La mise en scène, sobre et précise, se fonde sur une succession de plans fixes et de déplacements réduits à l’essentiel, traduisant la lenteur des déplacements dans un territoire sous contrôle. Le pigeon devient le symbole d’une liberté possible, fragile mais persistante.
Interprétations d’une grande justesse
Le jeune Adel Abu Ayyash, dans le rôle principal, incarne avec une grande sincérité les espoirs et les inquiétudes de Sami. Ashraf Barhom, dans le rôle de l’oncle Kamal, impose une énergie calme et nuancée, témoignant de la fatigue d’une génération. Emilia Al Massou, qui interprète la cousine, apporte une dimension de douceur, presque silencieuse, à l’ensemble.
L’équilibre entre les trois protagonistes fonctionne avec finesse, sans forcer l’émotion. Les silences, les regards, les détails du quotidien deviennent des vecteurs narratifs aussi puissants que les dialogues.
Une photographie organique et lumineuse
La lumière naturelle capturée par Duraid Munajim donne au film une tonalité chaleureuse, parfois méditative. Les paysages désolés, les murs, les toits, les intérieurs pauvres mais habités, forment une toile sensible sur laquelle se déploie l’intime. Jamais esthétisante, la photographie accompagne le récit sans le détourner.
Ce que laisse le film en sortant de la salle
Songe laisse un sentiment d’étrange apaisement. Ni colère, ni résignation, mais une lucide mélancolie, teintée d’espoir discret. On sort de la salle avec en mémoire le vol du pigeon, ce fil fragile qui relie encore les lieux, les générations, les frontières. Le film, à sa manière, redonne souffle à une parole palestinienne étouffée, non par le cri mais par l’obstination du rêve.
Un cinéma de la patience, de la délicatesse, et de la vérité.